- ASSYRO-BABYLONIENNE (LITTÉRATURE)
- ASSYRO-BABYLONIENNE (LITTÉRATURE)Vers 2300 avant notre ère, le roi sémite Sargon d’Akkad ravit aux Sumériens l’hégémonie sur l’ancienne Mésopotamie. Les scribes, pour la première fois, se mirent alors à écrire couramment en langue akkadienne. Ce fut le point de départ d’une abondante littérature qui, pendant dix-sept siècles, allait s’épanouir en Assyrie et en Babylonie, rayonner sur tout le monde civilisé du temps, et, après la chute de Ninive et de Babylone, se survivre longtemps encore.1. Aperçu linguistiqueCet akkadien qui, sous Sargon, acquiert enfin droit de cité appartient à la famille des langues sémitiques. Il en constitue le rameau oriental, le plus anciennement attesté, et assez isolé des autres. Il doit certainement une part de sa singularité à sa longue et étroite coexistence avec la langue sumérienne. L’influence de celle-ci marqua son phonétisme, sa morphologie et sa syntaxe, cependant qu’elle enrichit son vocabulaire par l’emprunt qu’il lui fit de nombreux termes, notamment administratifs, techniques et religieux.Si nous laissons de côté quelques rares et obscurs témoignages antérieurs, noyés dans le contexte sumérien, c’est donc à l’époque d’Akkad (2334-2154) que se révèle à nous l’état le plus ancien de la langue, le vieil akkadien.Deux faits importants vont ensuite influencer son histoire. L’un est le bouillonnement intellectuel dû à un renouveau passager de l’hégémonie sumérienne, l’autre, à partir de 2000 environ, la lente invasion de nouveaux groupes sémitiques venus de l’Ouest, les Amorites, qui viennent élargir et vivifier l’ancienne souche sémitique. Lorsque la langue reparaît sous le calame des scribes, elle n’est plus ce qu’elle était auparavant. Elle a éclaté en deux grands dialectes, l’assyrien et le babylonien , qui, pendant des siècles, avec plus ou moins de fécondité littéraire et non sans de fréquentes interférences, vont évoluer désormais suivant leur propre finalité, l’assyrien plus conservateur et plus raide, le babylonien emporté par un mouvement plus libre et plus vif. Chacun a ainsi, linguistiquement, son histoire, dans laquelle on distingue d’ordinaire une période ancienne, une période moyenne et une période récente. La période moyenne, vers le milieu du deuxième millénaire, s’ouvre sur des temps troublés par des invasions qui entraînent un appauvrissement passager de la culture et précipitent l’évolution de la langue, du moins sous sa forme écrite. Au cours de la période récente, qui va du début du premier millénaire à la disparition de l’Assyrie en 612, se produit le phénomène de l’araméisation progressive de la Mésopotamie. Dans la vie courante, l’araméen tend partout à supplanter l’akkadien, qu’il altère, avant de le faire disparaître. L’usage écrit, toutefois, conserve la langue traditionnelle. Elle continuera à être employée, sous forme de babylonien tardif, tout au long des époques chaldéenne (625-539), perse (538-331), séleucide et arsacide. Mais elle n’est déjà plus qu’une langue morte, savante et liturgique.2. Les grandes périodes littérairesDans cette longue histoire, toutes les époques n’ont pas été également fécondes.Nous sommes encore mal renseignés sur la période la plus ancienne. Trop peu d’œuvres nous en sont parvenues. Cependant, la maturité dont témoignent d’emblée les premières créations de l’ancien babylonien laisse supposer, dès le vieil akkadien, une nécessaire et puissante germination. Au reste, sur tout le pourtour de la Mésopotamie subsisteront, longtemps après, des traces de cette haute culture qu’y diffusèrent les conquêtes de Sargon et de Narâm-Sin. C’est aussi, entre autres recherches archaïsantes, sur des particularités grammaticales et stylistiques de cette époque que chercheront à se modeler les effets littéraires du dialecte hymnico-épique, dont les lettrés cassites se serviront pour rédiger de grandes œuvres poétiques.L’âge d’or de la littérature sémitique mésopotamienne est, sans conteste, le temps de la première dynastie babylonienne, dont le cœur est le règne du roi Hammourabi (XVIIIe s. av. notre ère). Tout y atteste une période de pleine activité créatrice, depuis les améliorations ingénieusement apportées à l’écriture jusqu’à la variété et à la perfection des œuvres de l’esprit.Sur toutes les terres qu’il avait conquises, Hammourapi avait mis fin aux particularismes, il avait unifié le pays et favorisé son rayonnement culturel. On considère d’ordinaire son fameux Code de lois comme l’œuvre la plus représentative de son temps, mais son génie créateur s’est exprimé en bien d’autres domaines.La tradition babylonienne connut une autre grande période de fécondité, au cours des derniers siècles du deuxième millénaire. Certes, le pays était appauvri, et aucun des rois cassites d’alors n’atteignit à la gloire de Hammourabi. Mais, il s’était, entre autres, formé, ici et là, de grandes familles de lettrés qui avaient pris délibérément en charge le trésor spirituel des siècles passés. Leur volonté de le sauvegarder et de le promouvoir leur avait fait souvent prendre comme patron un grand scribe d’autrefois, souvent mythique, qui restera l’égide de la lignée, parfois jusqu’à l’époque séleucide.Ce furent avant tout des compilateurs, qui firent un immense travail de mise en ordre, de copie et de commentaires de textes. En tant que créateurs, ils furent toujours plus ou moins prisonniers du passé, qui marqua même le vocabulaire et le style de leurs écrits. Parfois, cependant, de grands mouvements politiques ou religieux faisaient passer un souffle de vérité dans cet humanisme trop souvent compassé.En regard de la Babylonie, l’Assyrie, du point de vue littéraire, fait le plus souvent figure de parent pauvre.Dès le temps de Hammourabi, la pensée babylonienne s’impose et ne cessa de s’imposer à l’intelligentsia du pays. Même aux époques où l’Assyrie se rejette dans un nationalisme agressif et veut s’affirmer en s’opposant, elle ne peut, ni ne souhaite vraiment, s’affranchir de cette emprise culturelle.Déjà, au milieu du XIVe siècle, Assourouballit Ier avait attaché à son service personnel un scribe babylonien et, lorsque Toukoulti-Ninourta (XIIIe s. av. notre ère) s’empara de Babylone, il emporta en Assyrie un grand nombre de tablettes enlevées aux bibliothèques de la ville. Certaines compositions littéraires assyriennes, et notamment les grandes inscriptions historiques des Sargonides, lors même qu’elles relèvent incontestablement de l’inspiration assyrienne, n’en sont pas moins rédigées en une langue littéraire «standard» issue de la tradition babylonienne.Il serait injuste toutefois de ne pas porter au crédit des Assyriens les efforts que firent plusieurs de leurs rois pour créer dans leur palais de grandes bibliothèques encyclopédiques. Ce fut le cas de Teglat-Phalasar Ier (1115-1077), ce fut aussi, sur une plus grande échelle, celui d’Assourbanipal (668-627), qui fit copier par ses scribes des milliers de tablettes, aussi bien babyloniennes qu’assyriennes. Si, hormis des pièces de circonstance, leur apport créateur resta faible, ils n’en rendirent pas moins un inappréciable service à la tradition spirituelle de la Mésopotamie ancienne, et c’est souvent par leurs copies que nous sont connus bien des chefs-d’œuvre antérieurs.3. Écrit et littératureOn ne se ferait pas une idée exacte de la littérature babylonienne si l’on n’avait présent à l’esprit ce que représentent l’écriture et l’écrit dans cette civilisation millénaire.Innombrables sont les textes de la pratique, contrats, documents économiques ou administratifs, lettres officielles ou privées. Abondantes aussi sont les œuvres savantes dans tous les chapitres de la connaissance. L’écriture y fixe une inlassable investigation du réel, explorant des voies fécondes ou se fourvoyant dans des impasses. La science de l’homme débouche sur la médecine: des milliers de tablettes recomposent pour nous des traités de thérapeutique ou de pronostics, des formulaires ou des recueils d’ordonnances. La science du langage s’y évertue en listes, en vocabulaires, en commentaires ou en paradigmes. L’étude du ciel s’ouvre non seulement sur des observations et des tables astronomiques, mais aussi sur une immense production astrologique. Celle-ci n’est elle-même qu’un des chapitres de la science proliférante de la divination, dont témoignent des bibliothèques entières d’ouvrages spécialisés. La plus importante est peut-être celle des haruspices, qui, des siècles durant, ont inlassablement consigné les observations faites sur les foies et les entrailles des moutons sacrifiés à cette fin.La littérature religieuse ne le cédait guère en abondance à la littérature magique ou divinatoire. Chaque collège de prêtres avait ses tablettes rituelles, ses prières, ses lamentations ou ses chants. C’est d’ailleurs dans les temples que se sont le plus souvent constituées et le plus longtemps maintenues les principales bibliothèques du pays.Cette extraordinaire fortune de l’écrit s’explique moins par les nécessités économiques et sociales que par la valeur qu’avait le verbe dans la pensée mésopotamienne. Nommer, pour elle, c’est réellement créer, et fixer une notion par l’écriture, c’est lui donner forme définitive et irrévocable. De là, l’importance du mot exact, de la formule précise, de la phrase sciemment composée dans les textes visant à une efficience quelconque. L’écriture n’est jamais gratuite, et l’attitude attentive du scribe à la propriété de ce qu’il écrit a porté les mêmes fruits dans les œuvres purement littéraires que dans les formules magiques ou dans les termes choisis pour une prière.Que l’on pense aussi à ce qu’était l’apprentissage de son art pour un scribe akkadien. L’écriture cunéiforme était d’une effrayante ou, peut-être, d’une merveilleuse complexité. Les études étaient longues et se faisaient sur les textes (copies, dictées ou récitations). En s’exerçant à écrire, l’apprenti se nourrissait de la tradition des ouvrages techniques ou des grandes œuvres du passé, qu’il copiait avec application. Si l’on ajoute à cela l’indestructibilité normale des tablettes d’argile, support de cette tradition, on comprendra son étonnante permanence au cours des siècles.Un autre trait, dans cette littérature, doit être tenu pour essentiel, en ce qui concerne surtout les grandes œuvres de l’esprit: la littérature assyro-babylonienne est foncièrement bilingue. Dès le moment où la pensée akkadienne commence à s’exprimer, elle est tout imprégnée de la culture sumérienne, avec laquelle, pendant des siècles, elle a déjà vécu en une enrichissante osmose. Lorsque les Sumériens disparurent en tant que peuple, leur héritage resta vivant et fécond. On continua, toujours peut-on dire, à recopier des textes sumériens, à pourvoir certains d’entre eux de traductions babyloniennes, et à doter inversement diverses œuvres babyloniennes d’une version sumérienne. Or, par la langue, par la pensée, par leur vision du monde, par la structure même de leur intelligence, les deux peuples étaient radicalement différents. Cette hétérogénéité foncière se révéla, de part et d’autre, plus stimulante que ne l’aurait été sans doute l’influence réciproque de deux pensées plus proches l’une de l’autre. Leur coexistence féconde se perpétua dans cet humanisme suméro-akkadien qu’illustrait ce dicton ancien: «Que serait un scribe qui ignorerait le sumérien?» On a pu dire avec raison que, grâce à ce fructueux dualisme, chacun des deux peuples est allé plus loin et plus haut qu’il n’aurait fait par les seules forces de son propre génie.La Mésopotamie ancienne a connu presque tous les genres littéraires, hormis les contes dont un seul nous est parvenu, et la littérature théâtrale que semblaient pourtant annoncer certains poèmes sumériens apparemment à plusieurs voix, la vogue des «débats», les fables à deux personnages et divers dialogues «philosophiques» ou satiriques.C’est en d’autres voies que s’est épanouie la pensée akkadienne.4. Mythes et épopéesLa porte royale par laquelle il faut entrer dans la littérature épique, c’est, parmi les grands mythes, l’Épopée de Gilgamesh. En elle se résument vraiment l’histoire de la littérature babylonienne dans ses rapports avec la pensée sumérienne, les diverses étapes de son évolution et son rayonnement à l’extérieur.Le thème en est les exploits d’un très ancien roi d’Ourouk, à demi légendaire. Autour du personnage dut se créer très tôt une tradition poétique qui, plus tard, donna naissance à toute une série de poèmes sumériens. De ces poèmes disparates, les poètes akkadiens tirèrent une épopée, à laquelle ils donnèrent l’unité qui manquait aux sources sumériennes. La première partie de l’œuvre en est la partie héroïque. Gilgamesh et son ami Enkidou, après s’être affrontés, vont ensemble de victoire en victoire. Ils triomphent du géant Houm-baba, gardien de la Forêt des Cèdres; ils terrassent le Taureau céleste qu’Ishtar, dans son courroux, avait envoyé contre eux. Grisés de gloire, ils succombent à l’orgueil. Le Destin va les punir de leur démesure. Il frappe d’abord Enkidou, qui meurt dans les bras de son ami. Hanté désormais par la peur de la mort, Gilgamesh tente de percer le secret de la Vie éternelle. Il croira le trouver auprès du survivant du Déluge, auquel les dieux avaient jadis accordé l’immortalité. Mais il le perdra sur la route du retour, et, dans Ourouk, il n’aura plus désormais qu’à attendre, résigné, l’heure de descendre à son tour aux Enfers: l’âme d’Enkidou, évoquée, lui laisse entrevoir l’existence qu’y mènent les défunts.Cette épopée ne s’est pas créée d’un seul jet. Elle a connu des élaborations successives. Du temps de Hammourabi nous en sont parvenues quelques tablettes, que marquent la spontanéité et la force des ouvrages de cette époque. Et c’est sans doute de la seconde moitié du deuxième millénaire que date une mouture plus récente, en douze chants, et parfois laborieusement remodelée.La renommée de l’œuvre déborda largement les frontières de la Mésopotamie. Des passages en ont été retrouvés en Cappadoce copiés ou traduits par les scribes hittites et hourrites de Boghaz-Köi, vers le milieu du deuxième millénaire; et d’autres tablettes, trouvées à Jéricho ou à Ugarit, attestent sa diffusion largement vers l’ouest.De ce rayonnement culturel témoignent aussi d’autres œuvres épiques. Les poèmes d’Anzou et d’Etana étaient connus et copiés à Suse, en Élam, de même que l’étaient jusqu’en Égypte, à Amarna, le mythe du sage Adapa et celui des amours infernales de Nergal et d’Ereshkigal.Le Mythe d’Anzou raconte, en trois longues tablettes, comment l’oiseau des tempêtes Anzou réussit à s’emparer de la toute-puissance que détenait son maître, le dieu Enlil. Il en emporta le symbole dans une montagne inaccessible, où plusieurs champions divins ne pourront même pas l’approcher. Finalement, le dieu guerrier Ninourta parviendra à le vaincre et à rétablir dans l’univers la légitime hiérarchie des pouvoirs.C’est, au contraire, dans le monde infernal que nous transporte un poème de 440 vers dont l’héroïne est la déesse des morts Ereshkigal . Solitaire et triste en son obscur royaume, elle fut, un jour, humiliée par un dieu du ciel, son frère, le jeune et beau Nergal. Celui-ci n’échappa à la punition fatale qu’en séduisant sa sœur. Mais de s’être une fois trop longuement attardé dans ses bras l’obligea à rester à jamais dans les Enfers et à régner sur les morts avec Ereshkigal.Le Poème d’Era , le dieu de la peste, a une tout autre inspiration. Il a pour toile de fond la tragique période où les invasions soutéennes apportèrent malheur et désolation dans la Babylonie, et il s’interroge sur l’indifférence des dieux en ces périls mortels que courent leurs créatures. Quoique ce long poème épique soit de création cassite, il n’en a pas moins parfois des accents qui rappellent ceux des prophètes hébreux, et où l’on retrouve l’écho des grandes lamentations sumériennes.Un autre poème, en cinq chants, a pour personnage central le roi mythique Etana. Attesté par des éditions anciennes et récentes, il constitue en fait une légende dynastique, sur laquelle le poète a brodé la fable d’un aigle et d’un serpent. C’est en chevauchant cet aigle, puni pour avoir finalement dévoré les petits du serpent, son ami, qu’Etana montera dans les cieux pour y trouver la «plante d’enfantement», qui lui permettrait, pensait-il, d’obtenir le fils qu’il ne pouvait avoir.Il est d’autres questions, plus graves encore, l’existence des dieux, la genèse du monde, la création de l’humanité, auxquelles s’efforçaient de répondre d’autres mythes, faisant ou non écho à des traditions sumériennes.Le plus célèbre d’entre eux, le plus traditionnel aussi, nourri qu’il est de l’héritage spirituel de la sumérienne Eridou, est le Poème d’Atrahasis . Il connut sa plus belle expression au temps classique de Babylone, et on le retrouve encore, en copies assyriennes, dans la bibliothèque d’Assourbanipal. Il nous est malheureusement parvenu en mauvais état, et ce qui en reste ne nous en laisse entrevoir que certains épisodes: la naissance de l’homme, né de l’argile et d’une parcelle de pensée divine; le pullulement de l’humanité qui finit par perturber intolérablement la paix des dieux; le déluge qui mit bon ordre à ce désordre; n’en réchappa qu’Atrahasis, le très sage, qui grâce aux conseils d’Ea avait construit l’arche salvatrice; et recommençait le cycle fatal de la prolifération des hommes.De la naissance de l’homme, il est également question dans le non moins célèbre Poème de la Création , qui occupe une place à part dans la littérature babylonienne, car il est, en quelque sorte, un «livre sacré». Il fut conçu vers la fin du deuxième millénaire par les prêtres de Babylone, désireux de porter leur dieu Mardouk au faîte du panthéon. Lecture en était donnée solennellement chaque nouvel an dans le temple. Composé de sept chants, il est écrit en cette langue hymnico-épique, à résonances archaïques ou archaïsantes, de l’époque cassite. Son récit commence au début même du monde alors que tout n’était encore que chaos. Il évoque l’apparition successive des dieux, et le conflit qui finit par opposer le premier ordre divin, où régnaient le silence, les ténèbres et l’immobilité, aux plus jeunes générations divines, génératrices de bruit, de mouvement et de lumière. Au terme de cet affrontement cosmique, un moment incertain, la victoire revint enfin au plus jeune champion des dieux, Mardouk. Après son triomphe, il créa et organisa le ciel et la terre, puis il conçut l’homme, fait de chair, d’os et du sang d’un dieu coupable. L’œuvre se termine sur la glorification de Mardouk, dont les dieux proclament les cinquante noms qui font de lui le dieu de tous les rites et de tous les pouvoirs.5. Œuvres morales et sapientialesBien que le genre des proverbes et dictons populaires ait été fort prisé des Sumériens, il y a peu de chose à en dire ici. Leurs recueils, traduits en akkadien et enrichis de quelques nouvelles maximes, ne vont guère au-delà de l’observation parfois ironique de la vie journalière et des vérités du simple bon sens.Au contraire, c’est le problème du mal et celui de la justice divine qu’aborde un poème célèbre, que les Anciens appelaient de ses premiers mots, Je veux louer le seigneur de sagesse , et qu’en raison des similitudes qu’il paraît présenter avec le Job biblique, d’aucuns ont parfois nommé le Poème du Juste souffrant.Composé de quatre tablettes, c’est un long monologue, dans lequel, non sans emphase ni rhétorique, un juste accablé de malheurs fait le récit de ses infortunes. Richesses, position sociale, estime de ses concitoyens, il a tout perdu, et son corps est tourmenté de mille maux dont médecins, prêtres ni devins ne peuvent lui révéler la cause ni la durée. Surviendra finalement le pardon du dieu, mais sa miséricorde demeure aussi inexplicable que l’avait été son courroux; et, finalement, on se demande si les valeurs morales ont le même sens pour dieu et pour l’homme, et si les desseins divins ne resteront pas toujours un mystère impénétrable et déroutant.Cette même idée de la transcendance divine se retrouve, exprimée avec plus de rigueur et de poésie, dans un autre poème que l’on a coutume de désigner sous le nom de Théodicée babylonienne . Il se présente sous la forme à la fois d’un dialogue et d’un poème acrostiche. Deux savants amis, en strophes alternées, y débattent de la responsabilité divine dans le bonheur et le malheur des hommes. La grille acrostiche nous livre le nom d’un sage qui vécut à Babylone, vers la fin du deuxième millénaire, et qui est sans doute l’auteur de ce poème, que les scribes postérieurs se plurent à recopier jusqu’à la période parthe. Le premier interlocuteur, pessimiste et désabusé, se révolte contre les maux qui frappent inconsidérément les hommes, et dont il donne maints exemples. Son ami, chaque fois, lui répond en défenseur de la religion et de l’ordre établi, et, lorsque lui manquent les arguments logiques, il invoque l’immanence de la justice divine et l’infirmité de l’homme à comprendre les longs desseins de dieu.C’est également sous la forme d’un dialogue, ou plutôt sous celle d’une comédie à deux personnages, que les mêmes problèmes sont évoqués dans une pièce qui pourrait s’appeler Le Maître et son serviteur. Dans chacune de ses strophes, le maître appelle son valet, et lui dit ce qu’il a, sur-le-champ, décidé de faire. Et le serviteur d’approuver. Mais l’autre aussitôt renonce à son projet, et le valet, avec un même zèle, trouve pour s’abstenir d’aussi bonnes raisons qu’il en avait donné à l’inverse l’instant d’auparavant. Il n’est pas plus sage, en ce bas monde, d’agir dans un sens ou dans l’autre, et le moins absurde serait peut-être de se casser la tête ou de se jeter à l’eau.On a beaucoup discuté sur le sens de cette œuvre, satirique pour les uns, empreinte pour les autres du plus noir pessimisme. Quoi qu’il en soit, il faut bien admettre, avec les derniers vers du dialogue, que les dieux seuls peuvent connaître le sens contradictoire de l’existence humaine.6. La littérature historiqueDe tous les genres historiques qu’ont cultivés les Anciens, celui qui se rapproche le plus de la conception moderne de l’histoire est le genre des chroniques. Impersonnelles et rédigées avec plus ou moins de recul, elles n’apparaissent que tardivement sous leur forme définitive. La tradition dont elles sont issues se contenta d’abord d’enregistrer de brefs récits anecdotiques, sans suite et sans unité. Elle prit, pour un temps, la forme d’une histoire synchronique , relatant, en résumés clairs, précis et datés, les principaux événements survenus parallèlement en Babylonie, en Assyrie et en Élam. Le genre s’épanouit enfin dans les grandes chroniques de la dynastie néo-babylonienne, où l’on trouve une relation détaillée des faits qui aboutirent à la ruine de l’Assyrie et à la conquête de Babylone par les Perses.La tradition des chroniques est essentiellement babylonienne. Dans la littérature assyrienne, qui trouva là sans doute son terrain d’élection, la veine historique est d’ordinaire de tout autre nature.Laissons à part le genre des stèles imaginaires , illustré notamment par les légendes de Sargon et de Narâm-Sin: en immortalisant les triomphes et les tribulations de grandes figures du passé, ces stèles prétendaient tirer les leçons de l’histoire. Laissons aussi de côté le cas particulier du grand poème historique qui exalte, sur un mode épique, la victoire du roi Toukoulti-Ninourta sur son rival babylonien. C’est dans les annales , ou dans des récits plus ou moins analogues, que les scribes assyriens commémoraient les œuvres pies et les hauts faits de leur souverain.Les plus anciennes de ces inscriptions se réfèrent à l’activité constructrice du roi. Les allusions aux événements militaires n’interviendront qu’ultérieurement dans ces textes et de façon incidente. Mais, par la suite, elles ne cesseront d’y prendre de l’ampleur et finiront par constituer l’essentiel du récit. On aboutit de la sorte aux grands textes historiques du temps des Sargonides (721-612), telle cette édition, de 636, des Annales d’Assourbanipal qui, sur les 1 300 lignes de son texte, n’en consacre guère plus d’une soixantaine à décrire des travaux de restauration, tout le reste étant réservé au récit des campagnes.C’est vraisemblablement à l’influence hittite, ou plus encore peut-être hourrite, que ce genre littéraire, d’abord modeste, dut son remarquable épanouissement. Mais le génie assyrien sut lui donner une résonance originale, dans la façon notamment dont sont traités quelques-uns de ses grands thèmes descriptifs.À côté des annales, on rencontre aussi des histoires militaires , qui, pour être moins précisément datées, n’en suivent pas moins l’ordre chronologique, à l’encontre des fastes , qui groupent plutôt les événements d’après les contrées où ils se sont déroulés. Le genre historique culmine peut-être dans ces rapports à dieu , par lesquels il arrivait au roi de rendre solennellement compte à la divinité d’une campagne particulièrement importante. C’est à ce type de texte qu’appartient le célèbre récit de la Huitième Campagne de Sargon, dont certains passages descriptifs peuvent compter parmi les plus belles pages de la littérature assyrienne.Il va de soi que ces grandes perspectives, mythes, sagesse et histoire, sont loin d’être les seules que l’on peut suivre pour explorer et connaître l’immense production des lettrés assyro-babyloniens. Elles nous en révèlent du moins les œuvres les plus marquantes et les plus justement célèbres.
Encyclopédie Universelle. 2012.